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Dans cinq décisions, rendues le 17 septembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a condamné la compagnie d’assurance AXA à indemniser plusieurs restaurateurs pour leurs pertes d’exploitation résultant de leur fermeture administrative.

Refus d’AXA d’indemniser les restaurateurs pour les pertes d’exploitation

AXA a refusé toute indemnisation, comme beaucoup d’autres assureurs. 

Pour le profane, la lecture des contrats peut laisser perplexe et bien sûr AXA a refusé de garantir le sinistre en utilisant une clause d’exclusion.

Les juges ne s’y sont pas trompés et ont donné raison aux restaurateurs.

Ces décisions montrent que nous avons eu raison d’assigner des assureurs et que les entreprises ne doivent pas abandonner ce combat.

En tant qu’avocats spécialistes, nous vous proposons d’étudier vos contrats d’assurance pour indiquer si les dossiers pourront prospérer devant les tribunaux.

Concernant les affaires jugées en septembre 2020, les contrats mentionnaient que les pertes d’exploitation consécutives à la fermeture administrative sont couvertes.

Analyse des contrats d’assurance et des procédures judiciaires

Or, depuis le 15 mars 2020, en application de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, les restaurateurs étaient contraints de fermer leurs établissements au public.

Les conditions particulières des contrats d’assurance Multirisques Professionnels AXA France IARD comportaient une extension de garantie « perte d’exploitation suite à fermeture administrative » rédigée comme suit :

« La garantie est étendue aux pertes d’exploitation résultant de la fermeture temporaire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :

1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à l’assuré

2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un

meurtre, suicide, épidémie ou empoisonnement. »

Il faut noter ici que l’épidémie est définie, dans le dictionnaire de l’Académie

français, comme suit :

« Apparition et propagation d’une maladie contagieuse qui touche à la fois, dans une région donnée, un grand nombre d’individus et, par métonymie, cette maladie elle-même. »

L’arrêté ministériel du 14 mars 2020 ordonnant la fermeture des « lieux accueillant du public non indispensables à la vie de la Nation » a été pris dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid 19.

 

Décision de justice : nullité de la clause d’exclusion d’AXA

La propagation du virus covid 19, au vu de sa rapidité et de son développement au sein de la population, mais aussi des mesures prises pour lutter contre cette propagation, relève incontestablement de la définition d’une épidémie.

Dès lors, la décision de fermeture imposée aux entreprises françaises était bien la conséquence d’une épidémie.

Pour tenter de se soustraire à ses obligations, la compagnie d’assurances AXA France IARD s’est prévalue d’une clause contractuelle d’exclusion qui serait applicable au risque épidémique.

Pour être exécutoire, une telle clause doit être rédigée en termes clairs et précis qui n’appellent pas d’ambiguïté.

De plus, la clause d’exclusion doit être limitée, ce qui signifie qu’elle doit circonscrire le risque garanti et non être générale.

Or, en l’espèce, la clause litigieuse n’était ni formelle ni limitée puisqu’elle n’était ni claire ni précise et qu’elle était générale.

Pire encore, l’interprétation qu’AXA FRANCE IARD entendait en faire vidait de sa substance la garantie accordée.

En effet, l’exclusion de garantie invoquée par AXA FRANCE IARD était libellée comme suit :

« Sont exclus :

– Pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure administrative de fermeture, pour le même cause. »

Selon AXA FRANCE IARD, cette clause d’exclusion était applicable au risque épidémique.

Cette interprétation aurait eu pour effet de vider la garantie souscrite de sa substance et aurait donc pour effet de neutraliser la clause litigieuse.

Toutefois, aux termes de l’article L.113-1 du code des assurances, la Cour de cassation écarte la validité des clauses d’exclusion qui ont pour effet de priver de garantie son bien-fondé :

« En décidant ainsi, sans examiner si l’exclusion prévue aux conditions générales du contrat n’a pas privé de tout objet la garantie responsabilité civile professionnelle souscrite par (le réparateur) pour son activité de « réparation à domicile ou à l’adresse du risque,

dépannage des engins de chantier et des engins agricoles », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 113-1 du code des assurances. »

(2e civ., 20 mars 2008, n°06-11763)

La même solution a été rendue lorsque la clause d’exclusion a vidé l’extension de garantie de sa substance :

« Qu’en statuant ainsi, alors que l’exclusion stipulée vidait la garantie prolongée de sa substance, la cour d’appel a violé ledit texte »

(2e civ., 9 février 2012, n°10-31057)

Dans cette affaire, la société AXA FRANCE IARD a fait valoir que l’hypothèse de pertes d’exploitation suite à une fermeture administrative pour cause d’épidémie serait exclue si la fermeture concernait d’autres « établissements » sur le territoire départemental. .

Mais le risque d’épidémie, par nature, concerne une région donnée et un grand nombre d’individus, et ne peut donc être couvert en excluant les cas où cette épidémie toucherait un autre « établissement » de la même ville.

Pour être qualifiée comme telle, l’épidémie doit se propager rapidement et toucher une large population sur un grand territoire, qui dépasse donc forcément les personnes présentes dans un seul restaurant.

Dès lors, il est totalement impossible et fictif d’envisager qu’en contexte épidémique, un seul « établissement » sur l’ensemble d’un département puisse faire l’objet d’une fermeture administrative.

L’assureur ne peut, d’une part, s’engager à garantir les pertes d’exploitation consécutives à une décision de fermeture consécutive à une épidémie et, d’autre part, appliquer une exclusion qui a pour effet de priver systématiquement d’application cette même garantie.

La clause d’exclusion n’avait donc vocation à s’appliquer que pour révéler une violation

démontre des principes de bonne foi et de cohérence de la part des assureurs.

C’est en ce sens que le Tribunal de Commerce de Paris a jugé, par cinq jugements au fond en date du 17 septembre 2020 :

« Considérant que cette police est un contrat d’adhésion dont le défendeur est le rédacteur et seul responsable du libellé et des garanties offertes ; qu’il a manifestement choisi d’indemniser la perte d’exploitation consécutive à une fermeture administrative en cas d’épidémie qui, par définition, est très peu susceptible de concerner un seul établissement sur un même territoire ; que la clause d’exclusion de garantie (…) rend la garantie inopérante dans ce cas, qu’elle vide ainsi la garantie consentie de son contenu,

Le tribunal dit … que le défendeur devra garantir l’assuré contre l’interruption des affaires. »

(Tribunal de commerce de Paris, 17/09/2020, n° 2020022816, 2020022819, 2020022823, 2020022825 et 2020022826)