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Pour la première fois, la Cour de cassation reconnaît explicitement qu’une société – mais la solution vaut certainement pour toutes les personnes morales – puisse invoquer un préjudice moral.

Com. 15 mai 2012, F-P+B, n° 11-10.278

Qu’une société – et, de manière générale, toute personne morale – puisse souffrir d’un préjudice matériel ou économique, c’est l’évidence même. La question était, en revanche, à ce jour, loin d’être tranchée pour ce qui est du préjudice moral. Il est vrai qu’il s’agit d’une notion diffuse, qui renvoie à certains maux, qui, a priori, ne peuvent affecter qu’une personne physique : souffrance, blessure, stress, harcèlement, etc.

La cour d’appel de Paris avait cependant admis, dans un arrêt qui, à l’époque, avait fait sensation, qu’une société puisse souffrir d’un tel préjudice (Paris, 30 juin 2006, D. 2006. AJ. 2241, obs. X. Delpech ; RTD com. 2006. 875, obs. N. Rontchevsky ; Banque et droit juill.-août 2006, p. 34, note H. de Vauplane ; Bull. Joly sociétés, 2006. 1453, note D. Schmidt ; RD banc. fin. nov. 2006, p. 51, note V. Magnier ; RTDF sept. 2006, p. 6, note A. Pietrancosta ; Dr. et patr. mars 2007. 97, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm).

La Cour de cassation, dans un arrêt qui frappe par son caractère lapidaire, vient de reconnaître de manière explicite le préjudice moral d’une société.

Il s’agissait, en l’occurrence d’actes de concurrence déloyale commis contre une société exploitant une pizzeria par les cédants de la totalité des parts sociales émises par cette même société. Cette dernière a logiquement assigné les cédants, à qui elle reproche un détournement de clientèle, aux fins d’obtenir des dommages-intérêts au titre de la réparation tant du préjudice matériel que moral qu’ils ont souffert.

Elle n’obtient, devant les juges du fond, réparation que du préjudice économique, car, selon la cour d’appel de Pau, « s’agissant de sociétés, elles ne peuvent prétendre à un quelconque préjudice moral ».

Cassation pour violation de la loi, l’arrêt d’appel étant cassé et annulé « mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande [de la société] au titre du préjudice moral ». La brèche est ouverte : la reconnaissance du préjudice moral des sociétés – dès lors, bien évidemment, qu’elles sont dotées de la personnalité morale – est désormais consacrée, et ce n’est guère prendre de risques que d’affirmer que la solution vaut pour l’ensemble des personnes morales.

Le principe du préjudice moral des personnes morales étant posé, reste à lui donner corps. Là-dessus, l’arrêt du 15 mai 2012 reste totalement muet. Nul doute que d’autres arrêts viendront prochainement nous éclairer sur ce point.

Avocat nice, Grégory DAMY, préjudice moral d’une société